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La France a longtemps été un géant démographique, jusqu’au XIXe siècle. L’affaiblissement précoce de sa natalité conjugué à une explosion démographique mondiale au cours du XIXe et XXe siècle ont affaibli l’importance démographique mondiale de la France. Aujourd’hui, la France compte pour 0,9% de la population mondiale et 8,5% de la population européenne. Ainsi, son poids relatif continue à faiblir au niveau mondial mais ré-augmente au sein de l’Europe.

Année

1400

1750

1801

1901

1995

2011

Population française (en millions)

12

24,5

29,36

40,7

57,75

63,13

Pop. européenne (en millions)

45

140

187

420

728

739

Part de la population française / européenne (en %)

26,7%

17,5%

15,7%

9,7%

7,9%

8,5%

Pop. mondiale (en millions)

420

650

1000

1650

5692

7000

Part de la population française / mondiale (en %)

2,85%

3,77%

2,94%

2,47%

1,01%

0,9%

N.B. : Les chiffres de la population mondiale sont très approximatifs avant 1950, mais ils permettent de se donner un ordre d’idée.

1801 : 27,5 millions de Français au premier recensement mais combien de francophones ?

Le premier recensement de la population française a lieu en 1801. Cependant, lorsque l’on parle de français à l’époque, il faut garder à l’esprit que jusqu’à environ la fin du XIXe siècle, le français n’était pas compris uniformément en France. Les alsaciens parlaient majoritairement alsacien, dans le sud de la France, beaucoup ne comprenaient pas le français de Paris mais parlaient la version occitane. Difficile de faire les comptes. Une chose est sûre : les autres pays d’Europe étaient à la même enseigne, celle des dialectes et le français (du bassin parisien) était la langue de la noblesse européenne. Cette situation conférait au français un poids très important à l’époque comme langue « internationale ». On peut cependant estimer à entre 15 et 23 millions le nombre de personnes maîtrisant plus ou moins ce que l’on pouvait appeler le français, pour se faire une idée, pas davantage en tout cas.

1901 : 50 millions de francophones… majoritairement européens

Les progrès de la langue française se font surtout à l’intérieur de la France. On pourrait donc appeler le XIXe siècle le « siècle de la consolidation ». On peut raisonnablement estimer que 90 à 95% de la population française parle ou à tout le moins comprend sans difficulté la même langue : le français. Cela constitue donc un vivier d’environ 40 millions de francophones. A cela il faut ajouter la communauté française du Canada, de Suisse, de Belgique et du Val d’Aoste sans compter les « quelques indigènes » de cet immense empire d’Afrique et d’Asie vieux de quelques dizaines d’années. En faisant une estimation à la louche qui comprend les francophones des colonies (disons entre 500 000 et 1 000 000 de personnes, essentiellement des européens (espagnols, italiens, français, juifs) venus s’installer dans « les colonies »  dont la langue de fonctionnement est le français) ; ajoutons à cela toute les élites maîtrisant le français aux États-Unis et en Europe, et on arrive à environ 50 millions de francophones.

1987 : 100 millions « en étant très prudent »

Pour atteindre le chiffre de 100 millions de francophones, Louis-Jean Calvet compte les « francophones natifs » de France, Belgique, Suisse, Luxembourg, Canada (70 millions) et il ajoute à cela les personnes parlant le français en Afrique noire, Maghreb, Asie (ex-Indochine notamment) qu’il estime, « hypothèse raisonnable » à 10% de la population (beaucoup plus dans le Maghreb par exemple, moins en ex-Indochine), ce qui fait 14 millions à l’époque, ainsi que 250 000 professeurs de français, 25 millions d’élèves, 250 000 personnes qui suivent les cours de l’Alliance Française. (source : Louis-Jean Calvet, La guerre des langues, Hachette Littératures, Paris, 2009 p. 263 ; livre publié la première fois par Payot, 1987) Le français profite des retombées dû à son ancienne position de langue du colonisateur et de langue internationale.

2010 : 220 millions de francophones en Francophonie

Selon le dernier rapport de l’OIF basé sur des chiffres fournis par les pays membres de la Francophonie et / ou par des recensements, on estime à présent (chiffres de 2010) qu’il y a 220 millions de francophones (contre une estimation à 200 millions deux ans plus tôt). J’ai déjà commenté ces chiffres dans un précédent article concernant la sortie du rapport (voyez cet article pour savoir qui est considéré comme francophone).

A quoi est dû cet accroissement très sensible du nombre de francophones ? Ce qu’il faut voir, c’est que des « pôles de francophonie autonomes » sont en place en Afrique et que les générations qui naissent actuellement dans de nombreux pays d’Afrique noire (notamment) vivent dans une matrice francophone : institutions, télés, radios, journaux, chansons, langue de scolarisation. Si les parents de certains comprenaient à peine le français, des enfants le comprennent et le parlent et les enfants de ceux-ci ont pour langue maternelle le français. Autrement dit, de nombreux pays d’Afrique sont à un point de basculement entre une époque où le français était maîtrisé uniquement par les élites (il y a 30 / 40 ans) et un moment où « la mayonnaise prend », c’est-à-dire qu’il gagne les couches populaires (en commençant par les centre urbains, lieux de mélange par excellence). Le français africain est le fruit de plusieurs phénomènes qui agissent en synergie : morcellement linguistique de nombreux pays, explosion démographique, migration vers les villes (et donc besoin d’une langue commune) et environnement francophone. La langue par défaut des migrants ou d’échange est donc bien souvent le français qui sert bien souvent de langue d’union à tel point qu’une génération entière d’Africains est en train de basculer (essentiellement sur la côte du Golfe de Guinée) au français langue maternelle d’après des discussions que j’ai pu avoir avec un spécialiste de la question.

Analyse

Beaucoup de personnes ont du mal à croire à ce chiffre fruit d’une enquête de l’OIF car cela « ne cadre pas » avec l’image qu’ils se font de la langue française. C’est que le chemin entre la réalité et sa prise en compte est long. Pour bien saisir ce qui se passe, on peut faire un parallèle avec les États-Unis et l’histoire de l’anglais. Au début du XIXe siècle, le Royaume-Uni (sans l’Irlande) comptait environ 10,5 millions d’habitants (1801) et les États-Unis (alors beaucoup plus petits) 5,23 millions d’habitants dont tous ne parlaient pas anglais. Le total de la population de ces deux pays ne représentait que la moitié du nombre d’habitants de la France. Le Royaume-Uni était déjà un pays important mais moins que la France ou l’Espagne. Déjà au XVIIIe siècle, avant l’indépendance des États-Unis, certains britanniques pouvaient dire : « laissez les Français se satisfaire de leur situation, nos colonies nous apporteront un bien plus grand prestige dans le futur ». Les germes d’une anglicisation du monde prenaient sur une terre fertile, le continent américain, et même si l’on n’en voyait pas encore le résultat avec ces colons qui parlaient anglais, français, espagnol, allemand, suédois, une société / une matrice / un pouvoir anglophones étaient en place qui anglicisaient les immigrants sur deux ou trois générations.

La dynamique de l’expansion d’une langue suit une logique : un centre qui s’affirme avec sa langue, l’influence de ce centre qui s’étend et est reconnue comme centre, la consolidation de la langue à l’intérieur de cette sphère d’influence naturelle. Si les États-Unis ont à peu près terminé cette troisième étape, la démographie et l’immigration fournissant l’essentiel des nouveaux anglophones, il n’en est pas de même pour le français en Afrique qui est entre les stades deux et trois.

Si la situation de l’anglais reposait aujourd’hui uniquement sur la Grande-Bretagne, le français ou l’allemand seraient des langues européennes bien plus influentes actuellement, mais la puissance démographique, économique, politique et culturelle des États-Unis renforce l’importance de l’anglais. Cet état de fait n’est pourtant que la conséquence d’une situation dont les grands ingrédients ont été plantés il y a plus de 300 ans.  Ce qui est en train de se passer actuellement  pour le français en Afrique offre un parallèle intéressant avec l’histoire de l’anglais et des États-Unis. Une société francophone est en développement et consolidation sur le continent africain, société dont nous ne percevons pas encore l’unité et l’identité et pourtant déjà quelque chose est en cours. Une projection de l’OIF estime à 500 millions le nombre de francophones en Afrique en 2050, projection basée sur les tendances actuelles si la scolarisation continue à progresser à son rythme actuel et sans bouleversement majeur. En effet, les habitants du futur sont les enfants d’aujourd’hui et ceux-ci maîtrisent de mieux en mieux le français. Au total, ce serait pas moins de 700 millions de personnes qui seraient francophones en 2050.

Si certains pays se battent avec l’héritage francophone (notamment l’Algérie), d’autres considèrent le français comme leur langue ou comme un outil utile : Côte d’Ivoire, Gabon, Congo, RDC… Ces français d’Afrique se développent en effet de façon autonome, avec leurs spécificités et si le français de France reste la norme, il sera sans doute à l’avenir l’une des quelques normes qui existeront. Sans doute, à mesure que l’intégration régionale de l’Afrique centrale et de l’Ouest progressera, verra-t-on une sorte d’États-Unis d’Afrique ou d’Union Africaine émerger. Il est certain que la partage d’une langue et d’une monnaie sur une si grande étendue géographique pourrait être un atout considérable pour le développement de cette région. Affaire à suivre.

Si le poids du français a régressé (en %, pas en chiffres absolus) au cours du XXe siècle car son influence ne reposait quasiment que sur le poids « des quatre anciens » (France, Belgique, Suisse et Québec), tandis que celui de l’anglais progressait de par sa consolidation aux États-Unis (qui a vu sa population augmenter de façon spectaculaire), le XXIe siècle propose une autre perspective : des pôles autonomes francophones se mettent en place en Afrique (et Moyen-Orient) et on assiste à un renouveau de l’expansion du français, mais en dehors de sa sphère d’influence habituelle : l’Europe. C’est ce phénomène qui explique que nous allons assister dans les 10 / 20 ans à venir au basculement du centre de gravité francophone de l’Europe vers l’Afrique.

Cet article vous a intéressé ? Vous pouvez également lire mon article prospectif sur l’évolution du nombre de francophones en Europe.

Ressources :

Bibliographie

La langue française dans le monde 2010, Nathan

La francophonie dans le monde 2006-2007, Nathan

Louis-Jean Calvet, La guerre des langues, Hachette Littératures, Paris, 2009 ; première publication 1987

Yves Montenay, La langue française face à la mondialisation, Les Belles Lettres, 2005

Voir aussi mon article :

Evolution du nombre de francophones : prospectives

Ressources en ligne

http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89volution_du_nombre_d%27habitants_sur_le_sol_fran%C3%A7ais

http://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mographie_de_la_France

http://fr.wikipedia.org/wiki/Europe

 

Tag(s) : #Données sur la francophonie
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