Overblog
Editer la page Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Petite histoire linguistique de l'Algérie

(mise à jour du 4 février 2021) Pour de nombreuses raisons, dont certaines idéologiques, il est parfois difficile de trouver des informations fiables sur la situation du français en Algérie. L'Algérie ne reconnaît pas la langue française comme une langue officielle, alors même que cette langue y est largement parlée. Un contact qui travaille en Algérie me disait que le nombre de francophones y est largement sous-estimé pour des raisons politiques.

Les origines linguistiques

L'Algérie offre plusieurs visages : de par son histoire, c'est le pays du Maghreb qui a connu la plus longue présence coloniale française (132 ans). L'arabe dialectal (il en existe plusieurs formes, j'utilise donc ce terme générique) est la langue d'une grande partie de la population (environ 60 %)  tandis que le berbère (pareillement, il existe plusieurs variations de cette langue en Kabylie) serait parlé par environ 40 % de la population. Ces chiffres étaient inversés avant la colonisation française, mais la France a favorisé la langue arabe au détriment des langue kabyles. La population originelle du territoire qui correspond aujourd'hui à l'Algérie était de langue kabyle, mais l'Algérie (chrétienne pendant des centaines d'années) a été envahie par les Arabes. La langue arabe a donc été depuis lors la langue du groupe dominant mais jamais majoritairement parlée jusqu'à... la colonisation française. L'administration a préféré favoriser l'arabe plus que le kabyle, pour des raisons politiques.

L'époque de la colonisation française

Cette diversité s'est encore renforcée, car une importante population d'immigrés de France, d'Espagne, d'Italie, de Corse notamment, se sont installé en Algérie au XIXe et XXe siècle, jusqu'à l'indépendance et s'intégraient essentiellement en langue française. Ils se sont accaparé de nombreuses terres, en ont défrichées, mises en valeur, etc... Les Européens se sont très peu mélangés avec les Algériens, qu'ils soient Kabyles ou "Arabes". Le partage inégal des terres, des richesses et du pouvoir a alimenté la frustration et les réformes décidées depuis la France pour plus d'égalité étaient souvent édulcorées dans leur application par les dirigeants européens locaux. Cette situation a débouché sur des revendications et sur la guerre d'indépendance ; les Européens auraient pu rester vivre en Algérie d'après les traités, mais des partisans de l'Algérie Française ont formé l'OAS, et une guerre sanglante entre le FLN, l'OAS, et d'autres factions indépendantistes, ponctuée de nombreux attentats, déchira l'Algérie. Résultat, une sorte de guerre civile qui obligea quasiment tous les Européens à partir (certains étaient installés en Algérie depuis plus de 100 ans) ou repartir vers la France, c'était le choix de "la valise ou du cercueil".

Après l'indépendance


Suite à cela, le pouvoir algérien naissant s'est rapidement raidi et s'est dit "on va arabiser le pays pour retrouver nos racines supposées" (racines idéalisées, car aussi berbères ). Cela explique une grande complexité des rapports à la langue, d'autant plus que la langue arabe n'est pas celle parlée en Algérie, mais la langue arabe du Moyen-orient pour des raisons idéologiques et culturelles (langue du Coran). Pour parvenir à ces fins, le gouvernement a fait venir des professeurs d'Egypte, mais bien souvent dans la mouvance des frères musulmans. Mes lectures et visionnages d'entretiens (Yves Montenay, Boualem Sansal, blogues...) semblent indiquer que la religion ne jouait pas un rôle identitaire décisif à l'époque de l'indépendance, et n'était pas pratiquée de manière rigoriste, voire très peu pratiquée. Le monde de l'époque était différent, moins marqué par l'identitarisme des religions. L'Algérie se définissait comme un pays laïque, socialiste, partisane du progrès et de la science. C'est donc à ce moment que la sectorisation des langues a pris naissance : l'arabe comme langue de l'identité idéalisée, pour cadrer avec le nouveau roman national que l'Algérie s'inventait, et le français comme langue de l'ouverture, notamment scientifique et culturelle. Le discours officiel cache cependant une réalité complexe, que je vais développer.
Cette politique d'arabisation a été un échec, car sans doute mal conçue, autoritaire et idéologique, et comme beaucoup d'observateurs l'ont dit, on a obtenu des "analphabètes dans les deux langues" (français et arabe). Cette politique a été voulue pour satisfaire une frange nationaliste : le colonisateur ayant été français, et la décolonisation douloureuse aidant, il fallait se débarrasser de tout ce qui rappelait le français. On a même vu le gouvernement faire arracher tous les vignobles plantés sous la colonisation française, alors que l'Algérie était exportatrice de vin, pour se venger de la colonisation française. La classe politique ne croyait cependant pas à son propre discours, plaçant ses enfants dans les écoles françaises, car gages d'une éducation de qualité, mais était prisonnière de son roman national.

Situation actuelle

Aujourd'hui, bien que ce soit le deuxième pays francophone au monde, selon les chiffres disponibles, l'Algérie ne reconnaît pas le français comme langue officielle alors que d'autres pays comme le Maroc ou le Sénégal où l'on parle moins le français le reconnaissent.
Cette situation continue à évoluer. Leur langue officielle est donc l'arabe classique (alors que c'est la darija, le berbère et le français qui sont parlés) et depuis 2002 le berbère est aussi reconnu. Sauf que l'arabe classique n'est pas une langue algérienne même si la langue algérienne puise dans l'arabe classique en grande partie, un peu comme le français dans le latin. Non, les Algériens qui ne parlent pas le berbère parlent une langue appelée le darija, une langue issue de l'arabe mais à la sauce algérienne avec un mélange de kabyle, de français et d'autres langues encore. Ce qui fait que beaucoup d'Algériens ne maîtrisent pas leur langue officielle.

Au niveau des élites, elles militent donc officiellement pour l'arabisation de leur pays mais envoient leurs enfants dans des écoles françaises, ce qui montre à quel point ils croient en ce qu'ils disent. "Faites ce que je dis, pas ce que je fais" comme ils disent. Pas assez schizophrène pour autant, l'Algérie a décidé de quitter la francophonie à cause du passé colonialiste et sans doute pour punir cette partie française en soi (on est trop français, on n'est pas assez pur, pas assez arabe, il faut qu'on oublie le français et que l'on arabise). On note cependant une évolution de la position depuis Bouteflika, à tel point qu'une adhésion à l'OIF semblait envisagée.
Au niveau de l'école, les sections scientifiques (mathématiques, physique...) prodiguent un enseignement en français. Mais ce n'est pas forcément facile (apparemment) car le gouvernement s'évertue à faire oublier et disparaître le français dans le système scolaire au gré des gouvernements, en faveur de l'arabe (sans que cela donne des opportunités de poursuivre des études, mais c'est un peu comme le latin chez nous, ça peut être intéressant et intellectuellement stimulant, mais ça ne sert pas à grand chose dans le monde du travail à part être professeur de latin).
De ce tableau, il semble a priori que peu d'Algériens parlent le français (ce que je croyais), mais cette réalité est sous-estimée, et j'ai pu voir plusieurs fois le nombre de 16 à 22 millions de francophones avancé pour l'Algérie (sources :  http://www.senat.fr/colloques/actes_mondialisation_francophonie/actes_mondialisation_francophonie10.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Algérie#Langue ).

Le dernier rapport de l'OIF de 2018 fait état de 33% de francophones en Algérie, et d'après mes lectures, un nombre significatif de familles relativement aisées dans des villes comme Alger vivent en français au quotidien. Le français n'est donc pas tout à fait une langue étrangère même si c'est le message qu'aimerait faire passer les gouvernements successifs pour rassurer une certaine frange de la population qui voit la langue française surtout par le prisme de la colonisation.
Il faut aussi ajouter que le français est parfois la langue maternelle d'enfants dont les parents ont décidé de les éduquer en français, que beaucoup d'Algériens suivent entre autre sur leur télé des émissions françaises grâce à la parabole ou sur internet aujourd'hui, en plus des médias algériens en français ce qui renforce sa présence. De plus, le français est toujours vu comme un instrument d'ouverture sur le monde et un outil de réussite professionnelle. Sans compter qu'une grande communauté algérienne vit en France et est en contact avec l'Algérie (plus de 800 000 personnes).

La situation est donc complexe, et difficile à cerner.

Quelques faits et chiffres tirés du dernier rapport de l'OIF de 2018, La Langue Française dans le Monde (disponible en cliquant ici)
- on estime à 33% le nombre de francophones en Algérie (2018)

- Le français est langue d'enseignement dans de nombreuses filières du supérieur algérien, notamment dans les filières scientifiques.

- le français est enseigné en primaire à partir de la 3e année de primaire et jusqu'au baccalauréat

- le français fait partie des trois enseignements fondamentaux auprès de l'arabe dit classique et des mathématiques

- "Le positionnement politique de l'Algérie - objectivement très francophone - pourrait également évoluer par rapport à la langue française et avoir une influence sur ses voisins". (p. 36)

- en Algérie, le français "s'est même généralisé dans les filières scientifiques, malgré une politique affirmée favorable à l'arabe". (p. 36)


Pour poursuivre vers d'autres sites traitant du français en Algérie :
http://www.langue-francaise.org/dlf226.pdf

A découvrir également :
Partager cette page
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :