Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Voici un livre qui change de l’image que l’on a de la francophonie : un sujet démodé pour psycho-rigide. Il faut dire qu’Yves Montenay n’a pas le profil d’un homme de théorie : certes, il est Centralien, sort de Science-Po et est docteur en géographie humaine, mais il a également travaillé pour de nombreuses entreprises de stature internationale sur les 5 continents. En somme, c’est quelqu’un qui possède une solide base intellectuelle tout en étant un homme d’action et de terrain. De par le ton employé dans ses livres, Yves Montenay est un peu le commercial de la francophonie : il met en avant les réussites de la francophonie, expose les échecs et propose de solutions. Avec lui, un problème a toujours une solution. 

Dans son livre « la langue française face à la mondialisation », l’auteur commence par une récapitulation de l’histoire de la présence de la langue française à travers le monde très instructive ; il synthétise tout ce que j’avais pu apprendre ici ou là et est à ce titre une bonne introduction à l’histoire de notre langue.

Le français dans le monde de l’entreprise

Son livre apporte un éclairage nouveau sur plusieurs sujets et il m’a beaucoup plu pour avoir attaqué des idées reçues. Dans l’entreprise, il semble maintenant que l’on ne peut plus travailler sans parler anglais, c’est un peu ce que tout le monde se répète sans trop avoir posé le problème. De par son expérience, il avance quelques arguments percutants : l’apprentissage de la langue anglaise prend du temps et il souligne que ceux qui progressent dans l’entreprise grâce à leur maîtrise de la langue anglaise le font souvent aux dépends des créatifs, ceux qui se consacrent plutôt à leur domaine d’activité. Et ceci n’est pour lui qu’une première phase où l’on remplace tout bonnement les bons en anglais par des anglophones langue maternelle (moins de coûts encore!) ; c’est la suite logique.  Sans réflexion sur l’utilisation des langues, on en vient à des situations ubuesques. Ainsi cette entreprise du CAC40 , Alcatel, qui dépense 200 millions d’euros (selon Thierry Priestley, inspecteur du travail, p. 103) pour former ses employés en anglais. Si l’on délimitait les besoins, on se rendrait compte que l’on a besoin de l’anglais que dans telle ou telle situation et que l’on irait plus vite (et cela coûterait moins cher) d’embaucher un interprète lorsqu’un anglophone intervient plutôt que de devoir former tout le personnel à l’anglais. Le point fort de l’auteur, c’est qu’il anticipe beaucoup d’objections que l’on pourrait se poser et qu’il y répond. Je pourrais multiplier les exemples, je vous incite plutôt à lire ce livre qui est vraiment une source d’idées toutes simples et peu coûteuses que l’on pourrait appliquer facilement si l’on prenait le temps de poser les problèmes. Sa réflexion sur le monde de l’entreprise est à mon avis l’un des points forts (et offre une réflexion originale) de son livre. A lire ce livre, on se fait la réflexion que le recul du français n’est que la conséquence de l’intériorisation des français d’une mauvaise conscience quant au fait de défendre leur langue, nous n’osons plus rien faire ; c’est le sentiment que « cela ne sert à rien », que « de toute façon » l’anglais domine. La question qu’il faut se poser pour savoir quelle est la cause de cet état d’esprit, c’est comme dans les enquêtes policières : « à qui le crime profite ? » et là je pense que tout s’éclaire.

Une nouvelle « guerre de cent ans » ?

Yves Montenay avance une autre théorie intéressante, à savoir que l’on assiste à une nouvelle « guerre de cent ans ». L’auteur consacre plusieurs pages à ce sujet et j’avoue que j’ai trouvé que sa théorie faisait sens et expliquait pas mal de choses. Il ne s’agit pas d’une guerre ouverte,  mais plutôt d’une guerre d’influence dont le théâtre a essentiellement été l’Afrique. Ainsi, on a vu le Rwanda adopter l’anglais comme langue officielle et la RDC et Madagascar ont fait de même pendant quelques années (Madagascar vient d’adopter une nouvelle constitution et a adopté le Malgache et le Français comme seules langues officielles). A la vue de cela, beaucoup de gens pensent : l’anglais est la langue internationale, c’est normal que tout le monde s’y mette ; le français est voué à disparaître. C’est  être bien naïf, faire l’économie des intérêts politiques, économiques et géostratégiques de certains pays. Ainsi, il n’y a aucun miracle au Rwanda : les vainqueurs ont écrit l’histoire et sont donc les gentils qui ont souffert du génocide mais l’élite au pouvoir actuellement dans ce pays s’est entraînée en Ouganda, et s’y est éduqué (en anglais). Quoi de plus naturel qu’ils imposent leur langue lorsqu’ils revienennt prendre le pouvoir. La France, de son côté, était paralysée par son désir de ne pas passer pour un colonisateur. En RDC, ce sont les rebelles de l’est du pays, armés et soutenus par les pays voisins qui ont pris le pouvoir et voulu imposer leur langue. La parenthèse est refermée mais on peut se demander dans quelle mesure ces pays n’était pas soutenus en sous-main non pas par la Grande-Bretagne mais par les Etats-Unis qui n’en sont pas à leur premier coup d’essai.

Les vraies raisons du recul du français

Autre mythe auquel Yves Montenay s’attaque. Et on apprend souvent des choses. Pourquoi le français a-t-il été supplanté par l’anglais dans les pays de l’Est et en Égypte par exemple ? Dans tous ces pays, les élites ont longtemps parlé le français, et ce, depuis plusieurs décennies, voire plusieurs siècles (depuis le XVIIIe / XIXe siècle). Déjà, deux guerres mondiales ont laissé la France ébranlée, voire, dévastée et ont ouvert la voie à la suprématie de l’anglais, langue du pays vainqueur. Mais les élites n’ont pas tourné le dos au français, elles ont tout simplement été supprimées ou contraintes à l’exil. Le socialisme aurait décapité toutes les élites de ces pays, élites francophones qui étaient perçues comme des ennemies du régime. Socialisme de Nasser, socialisme des pays de l’Est.  Il aurait pu se passer la même chose en Algérie sauf qu’en plus des élites intellectuelles, les élites économiques et entrepreneuriales parlaient aussi le français et l’on avait encore besoin d’eux. Ensuite, la massification de l’enseignement et l’ouverture du bloc de l’Est ont favorisé l’introduction de la langue du pays dominant actuel : les États-Unis.

Ainsi, il n’y a pas besoin d’aller chercher des raisons « magiques » ou essentialistes à la supériorité de l’anglais, de par sa supposé simplicité (j’ai déjà écrit un article là-dessus) ou parce que « tout le monde » le parle alors que « tout le monde » désigne tout au plus la perception que l’on a du pays dominant. Nul doute qu’on pensera que « tout le monde » parle chinois si les chinois s’imposent économiquement et rachètent la moitié des entreprises américaines. (Par contre, cela m’étonnerait que l’on trouve le chinois simple en France de par l’éloignement phonétique de nos langues!)

Bilan 

On trouve donc de nombreuses analyses assez percutantes et bien documentées qui font l’intérêt de ce livre. En dernière partie, l’auteur propose des pistes pour une politique linguistique. La défense des intérêts d’une langue fait peur mais il semble bien que nous sommes l’un de seuls pays qui n’ose pas défendre et promouvoir sa langue actuellement (sans doute de peur d’être taxé de colonialistes mais il serait temps que l’on tourne cette page). Ainsi les Chinois ouvrent des instituts Confucius partout à travers le monde, les lusophones se regroupent dans des associations équivalentes à la francophonie. Il semble que nous ayons intériorisé une infériorité supposée et paralysante lorsqu’il s’agit de défendre notre langue.

Quant à l’usage du français à l’intérieur de la France, je rejoins Yves Montenay lorsqu’il dit « Bref la loi vise le choix de la langue, et non pas le détail de son vocabulaire : il s’agit de rétablir l’usage du français dans l’administration, les modes d’emploi, les documents comptables et publicitaires, l’affichage public, bref tout ce qui touche le public ou les collectivités » (p. 229). Il ne s’agit pas de se censurer et de dire « fin de semaine » à la place de « week-end » ou « courriel » à la place de « mail ». On peut le faire mais il s’agit d’un choix individuel qui ne doit pas occulter l’aspect collectif du combat que l’on doit mener pour pouvoir vivre dans un environnement francophone.

Voir également son site :

http://www.asso-iceg.fr/

et l’excellent entretien qu’a donné Mr Montenay à Mr Damien Soupart sur le site de la baguette culturelle.

 

 

 

Tag(s) : #Livres
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :