Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

 

Les bassins linguistiques, l'unité de base qui explique pas mal de choses

 

Revenons aux langues, notamment au français. Pour bien comprendre l'évolution de la langue française, j'aimerais mettre en avant un nouveau concept, celui de bassin linguistique. L'expérience prouve que dire qu'une langue s'impose forcément d'un centre vers une périphérie n'est pas tout à fait conforme à la réalité. Il faut prendre le problème par un autre bout : des langues existent ici ou là, variantes d'un même ensemble par exemple (comme le normand, le picard, pour le français), dans le cas des dialectes mais sans forcément de hiérarchie dans un premier temps. Des personnes qui se rencontrent harmonisent leurs langues, car elles sont bien obligées de se comprendre pour vivre en société. Leurs langues se fondent dans un même creuset. Si l'on met des gens avec des langues différentes au même endroit et en vase clos, au bout d'un moment, une norme mutuellement compréhensible va émerger pour que chacun puisse communiquer avec chacun. Si on laisse passer plusieurs générations, on obtient une nouvelle norme homogène, comme l'anglais américain aux Etats-Unis, ou le français « joual » au Québec / Ontario. Un peu comme un courant d'eau chaude qui rencontre un courant d'eau froide, au bout d'un moment, l'ensemble devient tiède. Je voudrais donc parler ici d'harmonisation linguistique pour décrire le processus qui amène des gens se côtoyant à harmoniser leurs pratiques linguistiques, c'est-à-dire à adopter les mêmes mots, phrases, intonations, référents. Ce phénomène a toujours eu lieu dans l'histoire, mais à plus ou moins grande échelle.

 

 

Agrandissement des bassins linguistiques

 

Mais ce qui se passe récemment dans l'histoire, c'est que le commerce, le progrès technique (transport, communication) amènent des gens qui n'étaient pas en contact à le devenir. Ainsi, en 1873, le train mettait Marseille à seulement 16h25 de Paris, puis, par étape, on est arrivé à 6h40 de Paris avant le TGV, et aujourd'hui environ 3h. Idem pour les routes. On peut maintenant être à Cayenne en 8 heures de vol depuis Paris alors qu'au début du XXe siècle, la Bretagne était plus loin que cela de Paris. Idem pour Londres qui est à 2h15 (chiffre officiel) de train de Paris. C'est du jamais vu, et Londres est plus près de Paris en temps que mon village dans l'Orne où il faut prendre la voiture. Des populations de plus en plus éloignées les unes des autres se retrouvent donc interconnectées et interdépendantes.

 

Définition du bassin linguistique

 

Les normes linguistiques se font donc au sein d'un petit espace cohérent, interconnecté, puis d'un espace de plus en plus grand, on peut donc parler de bassin linguistique, c'est-à-dire une unité d'espace géographique au sein duquel les moyens de communication et de transport permettent de relier ses occupants avec une quantité d'énergie (temps ou déplacement) si faible que cela crée la nécessité d'un moyen de communication commun. Ainsi des espaces géographiques auparavant séparés se retrouvent-ils interconnectés, agrandissant d'autant le bassin linguistiquede base. S'ensuit une homogénéisation linguistique, c'est-à-dire une harmonisation des pratiques linguistiques. C'est la distance physique et / ou temporelle qui limite à l'évidence l'expansion de ces bassins linguistiques. A l'inverse, il est à peu près certain que si les moyens de communication venaient à disparaître (télé, radio, internet), avec les voitures (pendant qu'on y est), des normes différentes apparaîtraient et s'amplifieraient au fil du temps dans des régions voisines de quelques dizaines ou centaines de kilomètres. La grandeur de ces unités géo-linguistiques est donc, à l'évidence, liée à l'effort nécessaire pour maintenir sa cohésion et tout ce qui facilite la communication et la rencontre agrandit ce bassin linguistique. Une langue commune émerge donc là où il y a proximité spatiale et temporelle, en fait : là où il y a un besoin de communication important. On pourrait rajouter la proximité langagière : lorsque deux dialectes sont proches, on s'homogénéise plus facilement que lorsque le passe d'une langue romane à une langue germanique ou turque.

Par contre, si l'on avait gardé les paramètres du XVIIIe siècle, on verrait l'anglais américain et britannique devenir mutuellement incompréhensibles, d'autant plus que l'anglais américain est en contact permanent avec certaines formes d'espagnol, mais les moyens de communication modernes continuent d'assurer une certaine homogénéité. Le français du Québec ou de Louisiane avaient déjà pris des chemins assez différents de ceux de la métropole avant qu'ils ne se retrouvent à nouveau en contact, d'autant plus que leur norme venait du Perche (Normandie) ou du Poitou-Charente, et non pas de Paris.

A l'inverse, des forces freinent l'harmonisation : freins culturels, politiques, et les besoins économiques (ou leur absence). Je pense qu'il y a un principe d'énergie nécessaire pour parler ou pour pouvoir se passer d'une langue : par exemple, dans certaines régions de France, les gens préféraient renoncer à leur langue et passer au français, dans d'autres, des langues différentes subsistaient plus longtemps.

Tag(s) : #études socio-linguistiques
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :