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La francisation est un sujet qui ne cesse de me laisser perplexe. Lorsque j’interpelle des commerciaux, représentants ou clients dans le cadre de mon travail, tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a trop d’anglais mais visiblement personne n’y peut rien, il y aurait comme une force au-dessus de nous. Comment peut-on avoir tout le monde d’accord et que rien ne change ?

Ainsi, j’ai interpellé le commercial de Vitamont (jus de fruits bio) sur l’appellation cranberry de son jus. Je lui ai dit : pourquoi ne pas utiliser le mot français « canneberge« . Il n’a même pas répondu, jujgeant ma question incongrue. J’ai récidivé, il m’a demandé : « tu as des clients qui te le demandent sous ce nom ? » Je lui ai dit qu’il y en avait quelques uns mais que ce n’était pas la majorité, et avant que j’ai pu continuer, il a mis fin à la conversation, lorsqu’il a compris que l’ensemble des clients ne l’utilisaient pas. Comme je suis têtu, je suis revenu dessus, je lui ai dit que si eux, en tant qu’entreprise, ne le font pas, personne ne le fera (ce ne sont pas les clients qui vont commencer) et je l’ai obligé à me suivre pour lui montrer les canneberges que l’on vendait en vrac avec sur l’étiquette l’appellation « Canneberge / Cranberry », et je lui ai aussi montré des canneberges en sachet (de chez Priméal) vendues sous l’appelation Cranberry et en dessous, en un peu plus petit : Canneberge. Je lui montrais comme quoi on pouvait au moins indiquer les deux. Il a enfin écouté mon argument, même s’il n’en tiendra peut-être pas compte.

Ce que j’en retire comme enseignement, c’est que les résistances au changement sont fortes, et qu’il aura fallu que je monte plusieurs fois à la charge pour qu’il daigne seulement écouter un début d’argument. Etrangement, des entreprises plus grosses comme Bonneterre ou EuroNat utilisent davantage le français, j’aurais imaginé le contraire. Par contre, gros carton rouge dans l’univers du bio à LIMA : presque tous ses produits ont une appelation anglaise avec, parfois, un doublage en français, mais en plus petit : rice drink, spelt drink (spelt = épeautre), rice cake (on parle d’une galette de riz), sweet ceci ([swit]), ginger cela ([djingeur]), crunchy truc (crunchy me dérange moins cependant, il maltraite moins l’orthographe et la prononciation française)… CARTON ROUGE !! Je n’arrête pas de le signaler au représentant, ça l’agace, et si j’ai le choix, je ne référence pas ses produits.

Pour moi, lorsqu’un mot anglais est prédominant, c’est de le mettre au moins avec en deuxième l’appelation française, éventuellement entre parenthèses, mais à la même taille, ou encore mieux l’inverse : Canneberge (Cranberry). On lit Canneberge (Cranberry), on comprend ceci : que le vrai nom est Canneberge, mais qu’il est aussi connu sous le terme de Cranberry. Le problème qui se pose dans le commerce, c’est en effet que les clients connaissent parfois uniquement le produit sous un nom et qu’ils ne nous croient pas si on leur dit que c’est la même chose qu’un autre nom, croyant qu’on veut leur « refourguer » nos produits. Ainsi, la double-appellation donne du poids à ce que l’on dit et fait connaître le terme français équivalent. Car si le terme anglais est davantage connu, il faut bien trouver un moyen de faire connaître le terme français ! Cette solution est donc la meilleure à mon sens pour que le fournisseur ne perde pas de client (qui ne trouverait pas son produit sous le nom qu’il connaît) mais qu’ils utilisent néanmoins le terme français. Solution pragmatique donc.

Halte au fatalisme !

Cela paraîtra peut-être vain, mais je me dit que si une deuxième personne dans un autre magasin fait la même chose que moi, à savoir relever à chaque fois que l’on utilisait un mot anglais en lieu et place d’un français, peut-être qu’ils commenceraient à douter et à faire remonter que « ça » ne plaît pas aux clients. Peut-être aussi qu’ils en auraient marre de devoir systématiquement se justifier. Inversement, si une autre personne le fait et que moi je ne le fais pas, cela fait une chance de moins de faire progresser cette pratique. Comme beaucoup de combats, cela paraît perdu d’avance jusqu’à ce qu’il y ait un basculement. Et bien entendu, faut-il le rappeler, si personne (ça veut aussi dire moi) n’essaie, rien ne risque de changer.

On vend également des boissons de « lait végétal » (lait étant ici une appelation abusive, mais cela indique l’équivalence) ; certains fournisseurs parlent de boisson riz calcium et d’autres de rice drink ; et tous s’adressent à un public français.

Je comprends que tel commercial ou tel client n’y peuvent pas grand chose individuellement, mais ils y peuvent quand même un petit peu. Plutôt que « d’acheter » constamment la sympathie des gens en voulant être lisse, il y a un moment où l’on peut exprimer un souhait, et faire en sorte de le faire connaître à un maximum de personnes. Ceux qui y sont un peu sensibles le reprendront peut-être à leur tour, d’autant plus qu’ils se trouveront confortés d’avoir quelqu’un de leur avis : vous, nous.

Un commercial pourra toujours avancer l’argument à ses supérieurs que pour s’adresser à ses clients, il vaut mieux utiliser leur langue, mais je crains que cela n’ait beaucoup de poids.

Parallèle entre le combat pour le français et le Front National

J’oserai un parallèle : ce matin, j’apprends que la cantonale partielle de Brignoles a été remportée par le candidat du front national. Je n’ai pas ma carte au FN, et je me garderai bien de donner mon avis, ce n’est pas mon propos. Mais il y a quelque chose qui m’inspire dans cet évènement, qui sera peut-être isolé, peu importe : on a un parti qui n’est pas politiquement correct, que l’ensemble des autres partis dénonce, partis qui ont pourtant toutes les manettes du pouvoir actuellement, et dont les recettes politiques et économiques sont dénoncées, assimilées à tort ou à raison au fascisme. Hé bien, malgré cela, il remporte une cantonnale, doublant quasiment le nombre d’électeurs alors que les partis PS et UMP comptaient sur le réservoir de l’importante abstention pour inverser la tendance.

J’en tire un enseignement :

mon sentiment est que l’on parle beaucoup de la crise économique, de l’immigration, de l’insécurité, que beaucoup de gens ont l’impression que le parti politique au pouvoir n’y change rien, que des forces supranationales (la mondialisation, l’Europe, souvent décriée par le FN ou je ne sais quoi d’autre) font que l’on ne peut rien y faire sinon ce sera pire (ou pareil), mais qu’à un moment, les gens ont l’impression que le problème c’est qu’il n’y a pas de volonté de changement. Le Front National dit qu’il peut y changer quelque chose et en contraste, cela donne l’impression que les autres partis ne veulent même pas y faire quelque chose. Alors pourquoi leur donner le pouvoir s’ils ne veulent rien en faire ? Ce que je veux souligner, c’est le côté « volonté de changer les choses », que cela apparaisse sous des atours démagogiques ou pas.

Je vois ça de façon un peu extérieure, et peut-être qu’il n’y a pas grand chose à faire à la crise, que c’est cyclique, que c’est grossi, que la montée du Front National est dûe à l’usure du pouvoir des autres partis et au fait que le Front National n’a, lui, pas gouverné, qu’il peut donc promettre des choses intenables. Ce n’est pas le propos ici. Ce qui me frappe, c’est que pour la francisation, j’ai déjà entendu les partis poliques parler de l’importance de la francophonie, et il y a des choses de faites au niveau institutionnel (au niveau de l’OIF, de l’ouverture de lycées français par exemple). Mais derrière les discours, on ne sent pas de véritable volonté de changer les choses. Le discours, c’est que : « oui, le français on est pour… MAIS c’est l’anglais qui a gagné, on ne peut rien y faire, il faut s’y adapter, c’est la langue de la modernité.. ». et on a l’impression que la classe politique dans sa majorité n’a même pas « envie d’avoir envie ». La télévision, les journaux ne parlent pas des sommets de la francophonie ou alors à la marge (par contre les enlèvements…!), n’ont pas parlé de l’ouverture de la maison de la francophonie, ne s’indignent jamais de l’anglicisation. Idem pour le pouvoir politique ou alors juste dans le discours. On a l’impression qu’il manque un déclic pour que le statut quo soit remis en cause.

Il y a certes des exceptions : Chevènement manifeste avec ALF, Bayrou reprend un journaliste qui parle de « made in France » et lui dit que l’on pourrait commencer par parler de « Fabriqué en France » (le journaliste n’a pas semblé comprendre le problème, il ne comprend pas que c’est le reflet d’un état d’esprit qui n’est pas cohérent), mais ce sont des actes et des gens qui restent à la marge pour l’instant. C’est comme si les rouages de la société étaient verrouillés. Alors mon interprétation, c’est qu’à un moment des gens donnent leur voix à quelqu’un qui dit qu’il y pourra quelque chose. Par exemple pour l’immigration, une majorité des électeurs du FN veulent la réduire (d’après les sondages), voire l’arrêter, on entend que ce n’est pas possible, dans l’Europe, dans un contexte mondialisé, ou alors que ce n’est pas bien, que c’est raciste, etc… et pour le coup, ces électeurs veulent toujours la même chose et n’acceptent pas le monde qu’on leur propose et ils votent pour la personne qui, au moins, leur dit que c’est possible, et que non seulement c’est possible, mais elle a envie de le faire. Est-ce bien ou mal, c’est une autre question. En défense du français, on a bien Asselineau qui en fait son thème central mais sinon on semble condamné au fatalisme collectif. Au niveau individuel et associatif, ça bouge un peu, heureusement.

Question à la MAIF

Mais pour revenir à la francisation, tout le monde en France est à peu près d’accord pour dire qu’il y a trop d’anglais, mais par contre, les résistances sont fortes : « on n’y peut rien », « aujourd’hui on ne peut pas réussir sans parler anglais », « l’anglais c’est la langue de la modernité », « tout le monde parle anglais », « pour parler aux jeunes, il faut s’adresser en anglais », etc…

Ce matin, je téléphone à la MAIF pour mensualiser mon paiement. Dans le message d’attente, ils me parlent de MAIF First, « la solution qui s’adresse aux jeunes de moins de 30 ans ». J’ai fait ma petite enquête auprès de la personne que j’avais au bout du fil, très professionnelle. « J’imagine que c’est pour mieux parler au public concerné, les jeunes ». Je lui explique ma démarche, comme quoi je suis adhérent d’une association de défense du français et que j’essaie de comprendre. Là, elle m’explique que c’est ce qu’elle imagine, mais qu’il existe une rubrique sur le site internet pour exprimer son mécontentement ou ses réclamations et que cela sera transmis à la personne concernée. C’est donc ce que j’ai fait, en expliquant que je déplorais cet état de fait, mais que j’essayais de comprendre et je leur ai donc demandé quelle motivation se trouvait derrière ce choix d’utiliser une dénomination anglophone. J’attends donc la réponse et je vous tiendrai au courant.

En tous les cas, je me suis dit que ce qui pourrait être intéressant, c’est (si j’étais au pouvoir) de convoquer différentes entreprises de la grande distribution, de l’assurances, etc… par secteur d’activité, 1) pour leur demander pourquoi ils utilisent des dénominations anglaises, pour qu’ils verbalisent leurs arguments, cela permettrait d’y apporter (éventuellement) la contradiction, et 2) ensuite pour voir avec eux s’ils accepteraient de franciser leurs appellations, et que ce soit eux qui proposent leur plan d’action. A la clé, on pourrait imaginer un label de bonne pratique linguistique ou de francisation qui serait valorisant pour ces entreprises.

 

Tag(s) : #Réflexions sur le français
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