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Le point sur la situation actuelle du français au Gabon, Burundi, Rwanda

Je réponds ci-dessous au commentaire de Jean-Marc que vous pouvez retrouver dans son intégralité en cliquant dessus. En effet, on lit pas mal tout et n’importe quoi sur la récente déclaration d’Ali Bongo d’instaurer l’anglais au Gabon, il était temps de remettre les pendules à l’heure :

« Votre analyse sur la diffusion du Français en Afrique me semble pertinente mais il faudrait peut-être la nuancer maintenant au regard de tendances récentes.

1°)Si la langue française est en phase 2 ou 3 de son développement [avec un centre qui s ‘affirme et qui peu à peu diffuse la langue sur ses périphéries) ] il en est encore de même pour la langue anglaise. L ‘Inde , forte de son 1,3 milliards ou plus d’ habitants… »

Les impressions ne font pas les faits et il faut rester mesuré. Les changements prennent du temps.
Reprenons :

1) L’inde : il est évident que si des journalistes occidentaux interrogent des Indiens, la seule langue qu’ils ont une chance d’avoir en commun, en dehors de Pondichéry, c’est l’anglais, pour peu qu’ils trouvent quelqu’un qui parle anglais. Cela crée un effet d’optique trompeur.

Mais les faits maintenant : selon wikipedia, « L’anglais est également reconnu comme langue officielle. Il a été pendant longtemps la langue parlée couramment par l’élite et la haute bourgeoisie indienne et est aujourd’hui pratiqué en tant que langue véhiculaire par une partie de la population, avec une grande variété d’accents selon la région ou la classe sociale, ainsi que par un certain nombre d’écrivains indiens de renommé internationale. 1,5 % des Indiens parlent l’anglais, ce qui fait tout de même plus de 15 millions de locuteurs en seconde langue. En revanche, l’anglais n’est la langue maternelle que de 300 000 à 400 000 Indiens, souvent d’ascendances britanniques. On trouve des anglophones surtout en milieux urbains, mais l’anglais est relativement présent presque partout sur le territoire, sauf quelques rares régions isolées. »

Traduction : l’anglais n’est pas la langue maternelle des Indiens (0,4M sur 1200M soit 0,03% de la population) et ne semble pas être en voie de le devenir (c’est l’ascendance britannique qui semble expliquer cette présence en langue maternelle), même si c’est une langue omniprésente. On peut imaginer que le Hindi par exemple, s’imprégnera fortement de l’anglais, comme pour le français mais l’anglais n’a pas vocation à, ni les moyens de remplacer des langues parlées par des ensembles de 50 millions ou 300/400 millions de personnes (hindi). Cependant, il a une importance au niveau universitaire et comme langue véhiculaire, d’autant plus que certaines grosses minorités linguistiques préfèrent passer par l’anglais que d’être assimilées par le hindi.

2) Pour le Rwanda, les vainqueurs écrivent l’histoire passée… et future : il y a eu un génocide qui a vu un groupe réfugié en Ouganda (et qui en est revenu anglicisé) prendre le pouvoir. Une partie des Rwandais avaient appris le français à l’école. Cela gênait la nouvelle élite qui a donc décidé d’éliminer le français (même si elle s’en défend grâce à… la langue de bois) et a voulu conséquemment mettre tout le monde à la langue des mangeurs de jelly. Le Rwanda n’a donc pas cédé aux sirènes anglaises, c’est l’élite francophone qui a été dégagée par une élite anglophone après un génocide. Quant au rôle des Français, je ne connais pas tous les dessous de l’histoire mais je pense que ce n’est pas aussi simple que cela et que les rebelles qui ont pris le pouvoir n’étaient pas tout seul. Ce sont des luttes d’influence qui nous échappent et ils nous manquent sûrement des éléments pour juger. Il n’y a donc plus grand chose à faire pour le français au Rwanda puisqu’une élite farouchement opposée à la France y a pris le pouvoir. Ceci dit, il reste une partie de la population qui a appris le français à l’école. Peut-être joueront-ils un rôle dans le futur ?

Pour le Burundi, à défaut de bien connaître le pays, je procède par déduction à partir des principes linguistiques que j’ai exposés et des informations que j’ai : le Burundi est un pays relativement unilingue (tout comme le Rwanda d’ailleurs), ils parlent le kirundi, langue voisine du kinyarwanda. Ils n’ont donc pas besoin de langue d’union pour leur pays a priori puisqu’ils l’ont déjà. Je pense que c’est, comme au Rwanda, l’une des raisons de la faible implantation du français. Le français y joue cependant un rôle d’ouverture, une langue de lien avec d’autres pays (tout comme l’anglais dans d’autres pays) ; c’est ce qu’on appelle une langue internationale (comme l’anglais et l’espagnol surtout), une langue d’accès à des savoirs, des techniques, des universités, à d’autres pays. Pour changer la langue d’enseignement d’un pays, il faut un choc sinon la force d’inertie joue. Regardez les Irlandais qui ont tenté de réapprendre leur langue, le gaélique, depuis leur indépendance en 1922 : le nombre de locuteurs de langue maternelle n’a cessé de chuter. Ce choc, donc, a eu lieu au Rwanda : un génocide et la prise de pouvoir par une minorité réfugiée à l’étranger. A défaut de génocide ou de guerre au Burundi (je n’écarte rien, mais pour l’instant il n’y en a pas), je ne vois pas ce que changera la situation. Ca peut évoluer à la marge, avec une introduction progressive de l’anglais en plus, mais cela prendra des décennies et d’ici là, les Chinois viendront peut-être demander que l’on parle leur langue…! Non, pour l’instant, l’adhésion au Commonwealth ne me paraît pas être une menace majeure pour le français dans un pays qui de toute façon ne basculera pas en langue maternelle française ni anglaise.

Pour le Gabon, je ne m’inquiète pas du tout. Le Nigéria en son temps avait instauré pendant quelques années le français comme langue officielle à côté de l’anglais pour embêter les Américains avec qui ils étaient fâchés. Ils voulaient faire ça rapidement : ils n’avaient pas de professeurs de français. Avec le changement de président, le français est reparti. Ce que je veux dire, c’est qu’au Gabon, l’anglais est une langue en plus, dont les Gabonais n’ont pas besoin pour parler entre eux. Une bonne partie d’entre eux (80% apparemment) parle le français en langue maternelle et l’anglais arrive en plus, c’est un atour sur le CV et on ne peut le nier. Si on peut se débarrasser d’une langue étrangère avec quelques efforts, pour une langue maternelle, cela me paraît plus difficile, car on s’y identifie et la société gabonaise tourne en français. Il faudrait une occupation militaire avec dictature pendant des décennies et interdiction de parler le français pour qu’il disparaisse. L’anglais arrive donc au Gabon comme il est arrivé en France : nous avons le français dont nous sommes fiers, et nous apprenons l’anglais, l’espagnol ou l’allemand lors de notre scolarité pour rajouter des cordes à notre arc, mais ces langues n’ont pas vocation à remplacer le français, tout au plus à lui apporter quelques mots supplémentaires.

Quand aux déclarations et circonstances, je vous renvoie vers l’article de Mr Montenay sur le sujet qui explique mieux que moi et qui d’ailleurs fait le parallèle avec le Rwanda. Je vous invite à vous procurer son livre La langue française face à la mondialisation qui vous éclairera sur de nombreux sujets. C’est l’un de mes classiques.

Quand aux Anglais (mais pas les Américains, qui malgré ce que l’on entend, et comme me l’a fait remarquer à juste titre Mr James Natsis, s’ouvrent de plus en plus aux langues), ils apprennent de moins en moins les langues étrangères : grand bien leur fasse. Une étude anglaise vient de montrer que c’était un handicap dans l’obtention de marché et qu’ils en perdaient à cause de cela. Ca se voit un peu tout de suite, ça se verra beaucoup plus plus tard. En attendant il ne faut pas prendre exemple sur eux. C’est bien pour cela que je dis que le tout anglais est une aberration en France, car il y a déjà assez d’anglophones. Pour conquérir d’autres marchés, il faut diversifier l’offre linguistique en France, c’est du bon sens : la meilleure langue est la langue du client ! Alors apprenons le chinois, pourquoi pas le hindi (on court-circuiterait l’anglais), l’espagnol, l’allemand, le russe, le polonais, l’italien, le turque, l’arabe…! Outre cela, je suis aussi pour un apprentissage plus large et facilité des langues régionales qui donnent des compétences transférables pour l’apprentissage d’autres langues à leurs locuteurs. Je ne suis pas pour que tout le monde apprenne des langues régionales mais pour que cela soit surtout permis à ceux qui ont des parents qui en parlent notamment, pour que leur langue soit transmise. C’est un plus.

Votre commentaire sur les revues scientifiques est une très bonne remarque : certains parlent de la nécessité d’un ERASMUS francophone, de la facilitation des visas francophones pour faire fructifier les liens que l’on a déjà, lancer la recherche francophone, etc… voir Claire Goyer (lien donné par M. Damien Soupart, merci!). Tout est encore à faire, ça a été notamment le sujet du premier forum de la langue française à Québec. Il faut faciliter les échanges, nous avons déjà une langue commune, qu’elle serve à nous enrichir mutuellement !

 

 

Tag(s) : #Données sur la francophonie
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