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A propos de l’anglais, j’ai l’impression que l’on mélange souvent cause et conséquence : l’anglais est la langue la plus facile sinon, pourquoi tout le monde le parle ? Pourtant, au XVIIIe et début XIXe, c’est ce que l’on disait du français, que c’était la langue la plus facile à apprendre (ce n’est pas (que) les Français qui disaient cela) et que c’était pour cela que tout le monde le parlait (dans les cours et les milieux aisés ; en Russie, Prusse, Angleterre). Aux États-Unis, au XIXe et au début du XXe siècle, une fille de bonne éducation devait savoir jouer du piano et parler le français.
Le français est toujours une des langues de la diplomatie : c’est l’une des deux langues de travail de l’ONU, une des trois langues de travail de l’Europe (mais en forte régression depuis 10 ans, depuis l’entrée des pays scandinaves dans l’UE, c’est vrai), et une des langues d’à peu près toutes les institutions internationales.
Si l’anglais est devenu si important, ce n’est pas parce que c’est une langue facile : elle est facile à écrire, mais beaucoup plus complexe lorsqu’il s’agit de se faire comprendre par des anglophones, à cause de l’accentuation, chose qu’un Français a du mal à maîtriser car le français, tout comme l’allemand, n’est pas une langue à accent tonique.
L’anglais est devenu important pour deux raisons : la réussite économique des États-Unis, tout d’abord, et deux guerres mondiales qui ont provoqué le déclin relatif de la France et de l’Angleterre ; l’anglais aurait donc régressé autant que le français si les États-Unis n’étaient pas là pour prendre la relève du leadership. D’ailleurs de plus en plus, on apprend et fait apprendre l’anglais des États-Unis (cf les instructions officielles pour les professeurs d’anglais) quand il y a encore 15 ans, on se focalisait sur la RP (received prononunciation, l’accent d’Oxford).

Conditions du succès d’une langue

Une langue est d’autant plus apprise que le pays où elle est parlée est solvable et que sa situation militaire et politique est forte (en plus, on peut ajouter le poids de la démographie). Regardez la Russie et son ex-empire soviétique. L’écroulement du bloc soviétique a entraîné la chute de l’apprentissage du russe dans ses anciens satellites. Inversement, l’émergence de la Chine sur la scène politique et économique mondiale s’accompagne d’une ouverture d’instituts Confucius à travers le monde, d’ouverture de classes de langue, et d’une demande de cours de chinois. La prédominance actuelle de l’anglais est liée à un pays qui a disputé le leadership mondial pendant 200 à 300 ans (le Royaume-Uni), (en même temps que le français), donc à une longue tradition. Si le chinois affirme sa prédominance pendant autant de temps, nul doute que l’on va estimer que le chinois semblera bizarrement moins dur dans 300 ans.

Les français mauvais en langues ?

Quand à la supposée « cancritude » des Français en langues étrangères, elle s’explique assez facilement. Tout d’abord, le système entier en France favorise l’anglais. Lorsque l’on dit que les Français sont mauvais en langues, on dit juste qu’ils parlent mal anglais. L’anglais est une langue beaucoup plus proche de l’allemand et des langues nordiques car le vieil anglais n’est autre qu’une variété d’allemand (lors de mes cours de vieil anglais, on avait des déclinaisons, des cas… c’était bien compliqué ; par contre, ma modeste connaissance de l’allemand m’avait bien aidé pour le lexique), même si au niveau du lexique (les mots), il y a eu beaucoup d’emprunts au français. Si ce sujet vous intéresse, vous pouvez lire le livre d’Henriette Walter, Honni soit qui mal y pense.

En tout cas, il est plus facile pour un Hollandais d’apprendre l’anglais que pour un Français car les langues sont beaucoup plus proches (langues germaniques). Lors des études sur l’apprentissage des langues, on nous compare souvent aux mêmes pays : « regardez les pays du Nord, l’Allemagne, la Hollande, ils parlent bien mieux les langues étrangères (l’anglais) que nous ! » Quel scoop ! Ce qu’il faut savoir, c’est que les pays nordiques ont presqu’abdiqué l’utilisation de leur langue au profit de l’anglais : recherche en anglais, télévision en anglais (ils n’ont pas la démographie suffisamment importante (et donc un marché!)  pour se permettre de créer entièrement leurs propres programmes, ceci explique cela ; déjà que la France avec 6 fois plus d’habitants a du mal). On baigne beaucoup plus dans un environnement culturel anglophone au quotidien dans ces pays-là. Les Allemands se sont mis massivement à l’anglais après la Seconde Guerre Mondiale, l’affirmation d’un désir de « puissance » faisant écho à de mauvais souvenirs. Mais il n’est pas dit que cela ne change pas avec les nouvelles générations d’Allemands si ceux-ci veulent retrouver un rôle important au sein de l’Europe. En tout cas, il n’est donc pas surprenant que les pays de langue germanique et les petits pays soient meilleurs en langues que les Français si l’on prend comme unique point de comparaison la langue anglaise. Dans cette logique, sans doute s’étonnera-t-on de voir que l’on parle plus l’allemand en Alsace que dans le reste de la France, et avec un meilleur accent l’italien en Corse qu’en Bretagne ; que les Guyanais parlent mieux le portugais que les Normands… Il n’y a aucun essentialisme dans tout cela, juste des circonstances, des contextes et des explications.

Un professeur d’université nous faisait remarquer que si les Français étaient si mauvais (de l’avis général en tout cas) en anglais, c’était parce qu’ils n’avaient pas foncièrement besoin de parler une autre langue que le français dans leur vie de tous les jours (même si l’exposition à l’anglais reste forte en France de par la musique et les gadgets technologiques). Nécessité fait motivation. Pourquoi se donner du mal quand on n’en a pas besoin ? Par contre, un Hollandais verra sans doute davantage la nécessité d’apprendre l’anglais, voire l’allemand (d’ailleurs c’est ce qu’ils sont obligés de faire) dans sa vie professionnelle. Pourquoi les anglophones (Royaume-Uni, États-Unis) apprennent de moins en moins les langues étrangères ? Parce qu’ils savent que partout ils trouveront quelqu’un qui parle anglais, donc qu’il n’y a pas de nécessité d’apprendre une autre langue.

Un autre professeur d’université, américain celui-là, nous expliquait qu’à son avis, l’anglais était plus facile à apprendre dans un premier temps (grammaire simple) que le français (le fameux féminin / masculin et les pluriels irréguliers!) mais que dans un deuxième temps, le français était plus simple car une fois que l’on avait appris les cas d’irrégularités, on en avait terminé, tandis qu’avec l’anglais, cela se complexifiait : origine des mots de plusieurs sources (latin, français, germanique pour l’essentiel), avec un substrat grammatical essentiellement germanique et une accentuation originale aux règles assez complexes. S’il faut peu de temps pour baragouiner l’anglais (« Hello, how do you do !!? » « What’s up!! »), c’est une autre affaire de bien le parler, mais ça c’est comme pour toutes les langues.

Alors quelle est la langue la plus facile ?

Tout ça pour dire que la langue la plus facile, c’est la sienne, celle qu’on maîtrise le mieux, et que la langue étrangère la plus facile, ce sera évidemment celle que l’on a le mieux apprise, ça fait un peu tautologie ! Et comme tout le monde en France est obligé d’apprendre l’anglais… Sinon, on pourra dire que la langue la plus facile à apprendre, c’est celle qui est la plus proche de notre langue, (l’italien, l’espagnol) tandis que la plus dure est celle la plus éloignée à tous les points de vue (cambodgien, une langue bantoue…). Voir à ce sujet cet article sur l’apprentissage de l’espagnol.
J’anticipe l’objection : on me dira que l’allemand est objectivement plus dur que l’anglais par exemple. Je dis que si le monde entier devait apprendre l’allemand, on trouverait des arguments pour affirmer le contraire : il n’y a pas d’accent tonique, il n’y a presque pas d’irrégularités, la langue allemande est logique, les mots sont fabriqués avec des morphèmes (éléments de base d’un mot) compréhensibles dans des mots de plusieurs syllabes, etc… tandis qu’on ne sait jamais où mettre l’accent tonique pour l’anglais, que c’est une langue bourrée d’irrégularités, que le sens des mots est opaque…

Un peu de langue-fiction…

D’ailleurs, un sujet qui m’intéressait à un moment, c’était de voir comment certains mots et concepts japonais étaient passés dans le français alors que pour le chinois, on attend toujours : samouraï, hara-kiri, kamikaze, manga, mangaka, tofu, sushi, jakuzi, et quelques autres que je ne sais pas écrire (saionara?). Doit-on le déplorer ou s’en réjouir, je crois que la question n’est pas là car autant on peut se réjouir de la convergence des mots qui rend l’intercompréhension plus simple, autant on voit toujours de nouveaux phénomènes linguistiques, sociologiques, technologiques… émerger et qui changent la donne.

Je pense que si l’économie et la culture japonaise avaient pris davantage d’ascendant, alors on aurait plus de mots japonais dans le français. Il y a dix / quinze ans, les Américains craignaient que les Japonais deviennent la première puissance mondiale ; 10 années de stagnation économique les auront rassurés, mais il n’est pas dit que cela ne leur arrive pas. Ensuite, les répercussions sur le système éducatif ne se feraient pas forcément immédiatement ; les Américains commencent seulement à remettre en question la présence dans toutes les universités de l’apprentissage du français alors que le statut de la France a peu évolué dernièrement.

Si le français, sa culture, son génie (civil, architectural, etc…) et ses capitaux ont imprégné et influencé l’émergence de nations comme les États-Unis, le Brésil et une bonne partie des pays d’Amérique Latine, avec comme signe visible l’apprentissage généralisé de sa langue, ce n’est que dernièrement (depuis 20 à 40 ans selon les endroits) que la mesure du recul de son influence s’est fait ressentir au niveau de l’apprentissage de sa langue. Cela est dans l’ordre des choses à mesure que ces puissances deviennent plus peuplées et aussi plus puissantes que la France. On imaginerait mal le Portugal dicter sa loi au Brésil actuellement… De même qu’il paraît assez probable que la domination du tout-anglais se trouvera rééquilibrée à mesure qu’un monde plus multipolaire verra le jour.

 

Tag(s) : #Réflexions sur le français
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