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Les linguistes (Jean-Louis Calvet dans La guerre des langues par exemple, dont je reprends certains termes et leur définition en gras dans cet article) relèvent souvent 4 à 6 facteurs d’expansion d’une langue, facteurs que je vais détailler afin de pouvoir étudier comment et si une inversion des tendances est possible.

Le facteur géographique

L’expansion d’une langue suit l’expansion des hommes. Ainsi, une montagne infranchissable pour l’homme l’est également pour la langue. Une langue se répandra donc le long des cours d’eau à mesure des déplacements et échanges des hommes mais l’absence (ou la difficulté) des échanges entre des habitants séparés par une mer empêchera la propagation d’une langue. Ainsi l’anglais n’a pas « débordé » en Belgique ni le flamand (ou le français) en Grande-Bretagne. Les nouveaux moyens de communication peuvent bien sûr changer la donne.

Le facteur urbain

Une langue est un moyen de communication entre deux personnes ; la ville est par essence le lieu où se côtoient de nombreuses personnes et leur interrelation amèneront donc une homogénéisation des langues utilisées. Si lorsqu’une ville se développe, de nombreuses personnes venant de différentes régions ou pays avec différentes langues se côtoient, le temps amènera toutes ces personnes vers l’adoption d’un moyen de communication (langue) commun. C’est ainsi que le français se répand d’abord dans les centres urbains en Afrique et qu’il se propage ensuite dans des régions moins urbanisées. La ville est le lieu du grand brassage linguistique. On peut certes voir des quartiers qui ont une identité et une langue à part (comme les quartiers italiens de New York (Little Italy) ou chinois (China Town)), ce qui donne un sursis aux langues qui peuvent servir de  langue grégaire au sein du quartier, mais l’anglais dans le cas de New York servira de langue véhiculaire entre les communautés de langue différente. La ville est une unité géographique et la nécessité de communiquer imposer une langue commune. Louis-Jean Calvet cite l’exemple de Brazzaville où il a fait une enquête au début des années 80 : Brazzaville était une ville dont l’apport de population était récent et les immigrés de langue véhiculaire lingala (pas forcément leur langue maternelle) se regroupaient dans le quartier nord et celui de langue véhiculaire munukutuba se regroupaient dans le quartier sud et le français était utilisé dans le plateau des Quinze Ans.

Le facteur économique

L’économie à la base, ce sont des acheteurs et des vendeurs, c’est donc la place de l’échange par excellence. Ce n’est pas un hasard si Hermes était chez les Grecs le dieu de la communication, le messager des dieux et le dieu du commerce. Un échange est facilité par un moyen de communication et si celui-ci n’existe pas, il existera. Ainsi des lingua franca, pidgins, et autres langues véhiculaires ont-ils été construits par la pratique pour les nécessités de l’échange. Dans d’autres cas, la propagation d’une langue suit les routes du commerce : swahili, malais, français, anglais… les personnes souhaitant échanger apprennent la langue de ceux qui viennent échanger. Ainsi certaines personnes n’étant jamais allé à l’étranger se débrouillent en allemand, français sur les marchés de pays où cette langue n’est pas parlée par la population.

Le facteur religieux

Certaines langues sont des langues de liturgie : arabe, hébreu, latin et cela a contribué à leur utilisation et leur expansion. C’est aussi parfois en tant que langue de propagation de la foi (missionnaires, ou mise en avant d’une langue unificatrice de la liturgie par des colons) qu’elle se répand.

Le facteur militaire

L’armée en tant qu’institution est un lieu de brassage des langues. Le service militaire a mis en présence des gens venant d’un peu partout en France et a favorisé l’apprentissage de la langue des officiers mais aussi des copains de régiment. Ainsi l’armée et le service militaire ont fait beaucoup pour la propagation du français au début du XXe siècle

Le facteur politico-administratif

Quelle est la langue des fonctionnaires, quelle est la langue de l’administration ? Ces facteurs jouent en faveur de la propagation d’une langue à plusieurs niveaux. Imaginons un fonctionnaire normand qui se retrouve dans un lycée en pays basque au début du XXe siècle : il ne maîtrise pas la langue basque (a priori), langue maternelle de nombre d’élèves  et le français est la langue obligatoire de l’enseignement. Lui-même a fait ses études et passé ses concours en français et il s’est évertué à le parler de la manière la plus pure, c’est-à-dire selon le modèle de ses propres professeurs, et en éliminant au maximum ses particularismes régionaux. Il s’efforcera donc de proposer à ses élèves ce modèle de langue associée au prestige. De plus, dans ses communications avec ses collègues, il utilisera le français, langue que tout le monde aura été obligé de maîtriser pour devenir professeur quand bien même elle n’aurait été la langue de personne à la base. On voit donc que rien n’oblige ces fonctionnaires à parler le basque dans l’enceinte de l’école. Les élèves, quant à eux, devront apprendre à maîtriser le français pour se faire comprendre de leur professeur et dans la perspective de pousser les études plus haut. De plus, dans leurs rapports avec les commerçants, ces derniers tenteront bien souvent de faciliter la communication en parlant un minimum la langue présumée de ces fonctionnaires, le français, afin que ceux-ci reviennent dans leur boutique. Le français est la langue de ce professeur normand, mais également des autres fonctionnaires de l’armée, de l’administration, etc… On voit donc la dynamique qui est à l’oeuvre et il faut une volonté et une énergie très forte pour inverser la tendance.

 

 

Tag(s) : #Réflexions sur le français
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