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1763, date terrible pour l'histoire de la Nouvelle-France puisqu'elle en signe la disparition continentale. Après la guerre de 7 ans, la France négocie pour conserver les îles à sucre (Haïti, Guadeloupe, Martinique) mais cède toute la partie continentale. Elle garde cependant l'île à morues, Saint Pierre-et-Miquelon. A l'époque, l'argent provenant des profits réalisés à Haïti permettait de boucler le budget de l'Etat français. La prospérité amenée par ces îles était considérable. Economiquement, ce n'était pas forcément un mauvais calcul du point de vue de l'époque. On connaît le refrain du Canada, que Voltaire évoque dans Candide en parlant des quelques "arpents de neige" du Canada. On connaît aussi la suite.

Aujourd'hui, on va imaginer les conséquences d'une décision alternative : la France se préoccupe davantage du Nouveau-Monde pendant la guerre de 7 ans ou après. Plusieurs scénarios sont possibles. Bien sûr, on peut affirmer que si l'histoire ne s'est pas déroulée autrement, c'est que ce n'était pas possible, mais parfois l'histoire tient à peu de choses et on va imaginer des petits rouages dans l'histoire telle qu'on la connaît.

Scénario 1 : négociation

En 1763, la France aurait peut-être pu négocier la perte des îles sucrières contre la conservation du Canada. Cela aurait difficilement été accepté par les colons Américains de la côte Est qui étaient très proches de la colonie française, et préoccupés, mais la négociation aurait été possible avec l'Angleterre. Les lectures m'ont montré que dans les deux camps, la lutte à mort était exclue et une certaine forme de respect de l'honneur adverse était toujours préservé. Ainsi, les généraux français, lors de la guerre de 7 ans, avaient refusé de suivre les chefs amérindiens qui voulaient rejetter à la mer (massacrer) tous les colons anglais lors de la première phase de la guerre qui était plutôt un succès du côté franco-indien (les Américains parlent des "French and Indian Wars" car les Amérindiens étaient en majorité du côté français jusqu'à ce que la partie soit jouée). Dans l'optique où la France négocie cette conservation et y réussit, soit elle se donne le moyen de pérenniser cette colonie en favorisant l'immigration, soit il y aura une période critique où les colons américains seront avides de mettre la main sur cette colonie vu leur supériorité numérique. Mais cela serait arrivé plus tard, le traité ayant donné un peu de répit.

Scénario 2 : pas d'intervention lors de la Guerre d'Indépendance

Deuxième solution : la France a perdu le Canada en 1763, mais décide de ne pas intervenir lors de la Guerre d'Indépendance Américaine de 1776. Le grand public ne le sait pas forcément, mais cela a eu une conséquence inattendue, c'est l'afflux de colons loyalistes sur le Saint Laurent, colons qui permettront d'avoir une supériorité numérique anglophone sur laquelle se basera la politique de domination anglaise au Canada.

En effet, 250 ans plus tard, la politique d'assimilation au Québec a échoué, et les francophones sont restés majoritaires. Ils le seraient sans doute devenus plus haut sur le Saint Laurent si les colons loyalistes n'avaient afflué en nombre.

Scénario 3 : envoi d'un contingent militaire suffisant pour maintenir l'existence de la colonie

Il ne s'en serait pas fallu de beaucoup que la France garde le contrôle du Saint Laurent. Pendant la guerre de 7 ans, la France fait plus que tenir tête aux Anglais :

En 1763, le traité de Paris, entérinant la prise de Québec (1759) puis de Montréal (1760) par les troupes britanniques, sonne le glas de la Nouvelle-France. Un empire disparaissait. Le scénario de cette chute n'était pas écrit à l'avance, en dépit de ce que suggèrent parfois les historiens, lorsqu'ils présentent par exemple le traité d'Utrecht de 1713 comme le prélude du traité de Paris. Les colonies anglaises d'Amérique du Nord, certes, étaient vingt fois plus peuplées vers 1750 que la Nouvelle-France, et leur expansion continentale semblait conditionnée par la disparition de l'Empire concurrent. Mais le Canada était loin d'être terrassé. Le botaniste suédois Pehr Kalm, en 1749, reprenant le discours d'un vieil habitant du Saint-Laurent, lui annonçait même un avenir radieux : " le Canada deviendra dans un proche avenir un pays extrêmement puissant". (...) Ce qui était certain, c'est que le Canada avait prouvé par le passé, et il le fit encore durant les premières années de la guerre de Sept Ans, de 1754 à 1757, qu'il était supérieur militairement aux colonies britanniques. C'est l'européanisation du conflit américain, à partir de 1758, qui scella le sort de la Nouvelle-France, lorsque la Grande-Bretagne décida d'investir toutes ses forces dans la bataille pour le continent. (Gilles Havard, Cécile Vidal, Histoire de l'Amérique française, Flammarion, collection "Champs histoire", 2003, pp 611-612)

Grâce à ses alliances solides avec les amérindiens et à une bonne organisation militaire, elle remporte beaucoup de succès. Le manque de soutien changera la donne. Il faut savoir qu'à la base, les troupes anglaises lors de cette guerre n'avaient pas prévu d'attaquer Québec ni n'avaient prévu de prendre possession de la Nouvelle-France. Il s'agissait de se battre à la frontière des deux colonies pour en délimiter la frontière voire la repousser. La décision audacieuse d'attaquer la colonie dans son coeur du côté anglais, un manque d'approvisionnement et de clairvoyance du côté français ont fait que la France a non seulement perdu la guerre, mais aussi toute ses possessions en Amérique du Nord continentale. On peut imaginer raisonnablement que l'issue de la guerre ait débouché sur un statu quo.

Scénario 4 : immigration plus importante

Quatrième solution : la France organise l'implantation de colons plus tôt et en plus grand nombre. Cela s'est largement fait pour les îles à sucre Comme indiqué plus haut, la France aurait pu gagner la guerre de 7 ans ou à tout le moins obtenir un statu quo, hypothèse de départ retenue pour cette uchronie. Avec une implantation deux fois plus importante, les chances de statu quo auraient été renforcées.

Plusieurs hypothèses sont possibles : favoriser l'émigration vers le continent Nord-Américain plutôt que vers les îles à sucre, ou que Louis XIV favorise l'émigration des protestants français vers le Nouveau-Monde plutôt que de révoquer l'Edit de Nantes et ainsi participer à l'essor des pays voisins (Prusse, Suisse (les fameux horlogers suisses d'origine française), Grande-Bretagne (qui récupèrent les banquiers de Lyon, Pays-Bas).

Les travaux les plus récents du démographe Mario Boleda fixent à 33 500 le nombre d'émigrants vers la vallée du Saint-Laurent. De son côté, l'historienne américaine Leslie Choquette estime à 70 000 le nombre total de départs vers le Canada et à 7 000 celui vers l'Acadie, en tenant compte des migrants saisonniers. C'est peu, comparé aux 300 000 émigrants qui débarquèrent aux Antilles françaises ou aux 700 000 qu'accueillirent les Treize colonies britanniques d'Amérique du Nord ; c'est néanmoins beaucoup par rapport aux 7 000 émigrants qui parvinrent en Louisiane. (Gilles Havard, Cécile Vidal, Histoire de l'Amérique française, Flammarion, collection "Champs histoire", 2003, p 205)

 

Après 1763, l'uchronie

Tous les scénarios avancés ici conduisent à une implantation du français le long du Saint-Laurent et jusqu'à la Région des Grands Lacs. Si on regarde une carte, on se rend compte que la population francophone se concentre surtout le long du Saint-Laurent, que la colonisation, le peuplement s'est fait en remontant le Saint Laurent. Dans l'hypothèse où la présence française se serait prolongée suffisamment (20, 30 ou 40 ans de plus ?), cette présence serait devenue suffisamment importante pour que la majorité de la population reste francophone sur un espace plus grand. Autrement dit, la pénétration de la langue française aurait donc remonté jusqu'à la Région des Grands Lacs, scénario tout à fait plausible.

En effet, des forts étaient déjà établis (voir carte 1), et la réputation du "Pays des Illinois" était déjà faite, terre fertile où l'on pouvait faire deux récoltes par an, contrairement au Québec où la saison propice aux récoltes était trop courte. Des colons étaient déjà établis mais le peuplement était encore trop disparate pour faire face à une arrivée de colons anglais dans un contexte de gouvernement anglophone.

 Carte 3 - présence de forts français

Quelles conséquences ?

Regardons la carte 2 : la présence francophone s'est établie le long du Saint-Laurent et la majorité de la population Canadienne s'y trouve. Le découpage du Canada (carte 3) qui permit de mettre en minorité politique la majorité francophone en accordant un droit de vote majoré à la partie du Haut Canada sous peuplée et à petite majorité anglophone, permis d'assimiler les nouveaux arrivants dans la minorité, puis majorité anglophone. Le Haut Canada était la porte d'entrée sur la région des Grands Lacs et sur le reste du Canada. Son passage sous domination politique anglophone a permis d'arrêter la propagation francophone le long du fleuve Saint-Laurent, autoroute vers l'intérieur des terres.

 Carte 2 : présence francophone au Canada en 1730

Carte 3 : découpage du Canada, 1791

Imaginons maintenant que la population francophone arrive à se maintenir autour du Saint-Laurent, fleuve qui remonte jusqu'aux Grands Lacs, se multipliant et assimilant les nouveaux arrivés à la majorité francophone établie. Une domination française plus longue de 20 ou 30 ans aurait peut-être suffit à cela. On aurait alors un ensemble démo-linguistique homogène comme on peut s'en apercevoir en regardant une carte. Les foyers de peuplement principaux aujourd'hui en Amérique du Nord sont la côte Est, la Californie, et la Région des Grands Lacs en remontant depuis les Grands Lacs. C'est en suivant le Saint-Laurent et les lacs que la population s'est installée par là, et il n'y aurait eu nul risque, ensuite, de "capillarité", ou d'assimilation, même une fois passé sous éventuelle domination anglophone.

 Carte 4

Conséquence démo-linguistique

Celle-ci serait très importante, car si la domination francophone avait réussi à remonter le Saint Laurent, c'était l'entrée de la région des Grands Lacs qui était assurée, ainsi qu'ensuite le peuplement du reste du Canada. La région du Manitoba était déjà passablement influencée (les Métis).

Voici, dans le tableau suivant, un bilan de la population des principaux états autour des Grands Lacs :

Population région des Grands Lacs

États

Population

Ohio

11 658 000

Michigan

9 962 000

Indiana

6 483 000

Illinois

12 802 000

Wisconsin

5 686 000

Minnesota

5 303 000

Ontario (Canada)

13 448 000

Total

65 342 000

C'est le nombre (à la louche) de francophones que l'on compterait en plus aujourd'hui dans cette région. Il faudrait déduire ceux qui le sont déjà en réalité (environ 1 million?)

Si on prend comme hypothèse  que c'est l'ensemble du Canada qui serait ainsi devenu francophone, en plus de la région des Grands Lacs, on arriverait à un total de 88,6 millions de francophones. Cela aurait certainement eu une conséquence considérable sur l'évolution linguistique, et sans doute politique, du monde.

A découvrir aussi :

NdL 1 - La Louisiane / La Nouvelle-France et la fuite des élites

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Tag(s) : #uchronie, #canada, #amérique française
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